Comment s’adapte-t-on à une autre culture ?

Changer de pays, quelle qu’en soit la raison, implique généralement de changer de culture. Les personnes immigrantes sont alors confrontées à la difficulté de concilier l’héritage de leur culture d’origine au besoin de se conformer à la culture d’accueil. Ce processus d’adaptation est appelé « acculturation ». Les difficultés qui y sont liées impactent la qualité de vie des personnes immigrées, mais aussi la manière avec laquelle elles sont reçues par la majorité d’accueil (discrimination, etc.).

Dans ce contexte, le travail joue un rôle important, puisque c’est un espace de socialisation de premier ordre. Ainsi, l’entreprise a une influence sur la bonne acculturation des personnes immigrées qu’elle embauche et elle a tout intérêt à ce que les choses se passent au mieux !

En effet, la bonne adaptation de ses collaborateurs et collaboratrices permettra par exemple d’éviter les conflits, de restreindre les discriminations ou encore d’améliorer la performance et l’innovation, grâce à la diversité qu’ils et elles amènent. Mais avant d’en arriver là, faisons le point sur le phénomène d’acculturation.

4 stratégies d’acculturation – la matrice de Berry

Depuis les années 70 [1], le sociopsychologue John W. Berry a largement contribué à mieux comprendre comment les populations immigrées s’adaptent à leur culture d’accueil. Il a proposé que chaque personne dans cette situation est tiraillée par deux questions : Dois-je conserver mon héritage culturel ? Dois-je échanger avec la culture majoritaire ?

En fonction des réponses apportées à ceux questions, il est possible de construire une matrice. Elle permet de figurer 4 grandes stratégies d’acculturation [2].

La matrice de Berry permet de visualiser les quatre grandes stratégies d’acculturation.

Assimilation. Cette stratégie concerne le cas où nous préférons adopter pleinement la culture majoritaire, en délaissant notre culture d’origine. La majorité incite généralement les minorités à adopter cette orientation [3]. C’est notamment le cas en France avec le modèle républicain d’intégration [4].

Séparation. A l’inverse, lorsque nous cherchons à conserver notre héritage et, pour ce faire, à éviter autant que possible l’influence de la culture majoritaire, on parlera de séparation. Cette stratégie peut être adoptée d’emblée par la minorité ou l’être en réaction à une politique de ségrégation de la majorité [2].

Intégration. Chercher à la fois à conserver notre héritage culture et à s’impliquer dans la culture dominante est associé à la stratégie d’intégration. Elle est généralement liée à l’idéologie du multiculturalisme [2] et appréciée des minorités qui y voient un bon compromis entre leurs deux identités [4].

Marginalisation. Cette stratégie est adoptée quand, ni le maintien de l’héritage, ni l’implication dans la société d’accueil n’est pertinente. Ceci découle généralement d’une incitation à abandonner sa culture d’origine, alors que dans le même temps la société reste réfractaire à l’inclusion [2].

Bien sûr, ces stratégies ne doivent pas être vues de manière totalement cloisonnée. Les deux questions qui permettent de former la matrice sont des continuums. Par exemple, une personne peut adopter une stratégie située entre l’intégration et la séparation. Une personne peut également adopter des stratégies différentes en fonction du contexte [5] : par exemple, l’assimilation au travail et la séparation dans la sphère privée.

Le cadre de l’entreprise et ses contraintes

Le cadre de l’entreprise est particulier, car il suppose un besoin de performance et de rentabilité. Pour son bon fonctionnement l’entreprise à tout intérêt à ce que ses membres avancent ensemble, dans la même direction. Ceci suppose qu’ils adhèrent tous à sa culture organisationnelle et donc à pousser plutôt à l’assimilation.

Sur cette idée, une étude espagnole portant sur les immigrants africains [5] a montré que ces derniers adoptaient une stratégie d’assimilation au travail, alors qu’ils s’orientaient plutôt vers la séparation ou l’intégration dans les autres aspects de leur vie (relations sociales et familiales, religion, etc.).

Pourtant, inciter à l’assimilation n’est pas un choix idéal. Tout d’abord, en feignant de pas voir les spécificités des collaboratrices et des collaborateurs immigré∙e∙s, l’entreprise peut créer un sentiment d’exclusion chez ces personnes [6] (voir notre précédent article sur les limites du colorblind). Ceci est délétère pour leur qualité de vie au travail, mais aussi pour leur engagement.

Ensuite, en restreignant ses collaborateurs et ses collaboratrices dans le partage de leurs points de vue et de leurs cadres de référence, l’entreprise ferme ses portes à la richesse apportée par la diversité. En effet, en mêlant des informations aux origines variées, la diversité peut favoriser la performance et l’innovation de l’entreprise [7 ;8], ainsi que ses bénéfices financiers [9].

Conclusion

Le travail est un facteur important pour l’adaptation des personnes immigrées. Si l’entreprise joue un rôle dans le processus d’acculturation, elle a tout intérêt à y prêter attention. Par ses actions, elle peut soutenir ces minorités, mais aussi profiter de la richesse de la diversité qu’elles amènent.

Ainsi, pour permettre à ses nouveaux membres de s’accoutumer plus facilement à leur environnement de travail, l’entreprise peut les accompagner dans l’apprentissage de sa culture organisationnelle. Dans le même temps, si elle leur permet et les incite à s’exprimer librement, elle pourra s’enrichir de leur divergence.

Sources

  1. Berry, J. W. (1974). Psychological aspects of cultural pluralism. Topics in Culture Learning, 2, 17–22.
  2. Berry, J. W. (2005). Acculturation: Living successfully in two cultures. International journal of intercultural relations, 29(6), 697-712.
  3. Ryan, C. S., Hunt, J. S., Weible, J. A., Peterson, C. R., & Casas, J. F. (2007). Multicultural and colorblind ideology, stereotypes, and ethnocentrism among Black and White Americans. Group Processes and Intergroup Relations, 10(4), 617–637. doi : 10.1177/1368430207084105
  4. Kamiejski, R., Guimond, S., De Oliveira, P., Er-rafiy, A. & Brauer, M. (2012). Le modèle républicain d’intégration : implications pour la psychologie des relations entre groupes. L’Année psychologique, vol. 112(1), 49-83. doi: 10.4074/S0003503312001030
  5. Luque, M. N., Fernández, M. D. C. G., & Tejada, A. J. R. (2006). Acculturation strategies and attitudes of African immigrants in the south of Spain: Between reality and hope. Cross-Cultural Research, 40(4), 331–351. doi: 10.1177/1069397105283405
  6. Markus, H. R., Steele, C. M., & Steele, D. M. (2000). Colorblindness as a barrier to inclusion: Assimilation and non-immigrant minorities. Daedalus, 129, 233-259
  7.  Saxena, A. (2014). ScienceDirect Workforce Diversity: A Key to Improve Productivity. Procedia Economics and Finance, 11(14), 76–85.  doi: 10.1016/S2212-5671(14)00178-6
  8. Parrotta, P., Pozzoli, D., & Pytlikova, M. (2014). The Nexus between Labor Diversity and Firm ’ s Innovation. Journal of Population Economics, 27(6972), 303–364. doi : 10.1007/s00148-013-0491-7
  9. Salloum, C., Jabbour, G., & Mercier-Suissa, C. (2019). Democracy across Gender Diversity and Ethnicity of Middle Eastern SMEs: How Does Performance Differ? Journal of Small Business Management, 57(1), 255–267. doi: 10.1111/jsbm.12336

Article initialement publié sur LaborAgora.com en octobre 2020.
Image de couverture : nappy