Les conséquences de la discrimination sur la santé

Militante brandissant une pancarte "I can't breathe".

La discrimination est un fléau parce qu’elle porte atteinte à nos droits humains. Mais ses conséquences néfastes, vont au-delà de ces seuls principes moraux.

Elle nous empêche de profiter pleinement de la richesse de notre diversité, dans la société et dans les entreprises. Mais elle ronge aussi la santé physique et psychique des personnes discriminées1 (et pas seulement elles, comme nous le verrons).

Même en mettant de côté l’importance éthique de les protéger et en adoptant un point de vue purement pragmatique, l’impact de la discrimination sur la santé des collaborateur.rice.s a des conséquences néfastes sur l’entreprise : baisse d’engagement, de productivité, augmentation des accidents de travail et des arrêts maladies, etc.

Quels impacts de la discrimination sur la santé ?

En 2015, une méta-analyse de 293 études scientifiques2 a montré que la discrimination a de multiples conséquences négatives sur la santé physiologique et psychologique des personnes victimes de racisme.

Parmi ces conséquences, on compte :

  • Des atteintes du système cardiovasculaire3
  • Un indice de masse corporelle et des taux d’obésité plus élevés4
  • De l’hypertension5
  • Des comportements à risque plus fréquents6
  • Une plus grande consommation d’alcool7
  • Des troubles du sommeil8
  • La dépression9

La discrimination génère un stress sur l’organisme et fait apparaître des signes précliniques. Ceux-ci rendent les personnes concernées plus vulnérables aux maladies. En 2015, une équipe de recherche10 a recensé les signes suivants : augmentation de la charge allostatique (accumulation de stress), inflammation, télomères plus courts (vieillissement plus rapide), calcification des artères coronaires, dérégulation de la production de cortisol et plus grand stress oxydant.

Une menace trop réelle : l’anticipation de la discrimination

L’impact négatif de la discrimination sur la santé va plus loin. Subir régulièrement la discrimination incite ses victimes à l’intérioriser. En conséquence, ces personnes montrent de l’appréhension devant les situations où la discrimination pourrait resurgir. Elles deviennent plus vigilantes, plus inquiètes et endurent en permanence un stress d’anticipation. Ce dernier accentue et prolonge les effets négatifs de la discrimination sur la santé11.

Cette appréhension devant la discrimination est associée à ses propres effets négatifs sur la santé physique et psychique :

  • Détérioration de l’élasticité des artères12
  • Symptômes dépressifs13
  • Troubles du sommeil14
  • Hypertension15

Cette atteinte à la bonne santé des personnes semble principalement découler du stress qui lui-même nait des discriminations subites et anticipées. L’altération de la santé augmente avec la quantité de stress. Ce rôle central du stress persiste même en prenant en compte les disparités socio-économiques entre les personnes issues de minorités ou de majorités16.

Voir la discrimination et en souffrir : la discrimination indirecte

Mais le problème va encore plus loin. Apprendre que des personnes de notre communauté subissent de la discrimination a également un impact sur notre santé17. Ainsi, voir par exemple George Floyd mourir a des répercussions sur la santé de toute la communauté noire-américaine, et noire en générale.

En 2018, une revue de la littérature scientifique sur le sujet18 met en avant cette atteinte par procuration chez les enfants. Lorsque leurs parents subissent de la discrimination, ces enfants voient leur développement physique et mental perturbé. A cela s’ajoutent des conséquences en termes d’anxiété, de symptômes dépressifs, de consommation de substances dangereuses, d’estime de soi, etc.

De même, une étude quasi-expérimentale étatsunienne19 a montré que l’exposition à des homicides d’afro-américains non-armés (à la télévision, sur internet, …) induit une baisse de la santé mentale chez les participants afro-américains. Cet effet grimpait durant les deux premiers mois après l’exposition.

Conclusion

Lutter contre la discrimination au travail contribue à la protection de la santé physiologique et psychologique des collaborateurs et des collaboratrices appartenant à des minorités. Ainsi, en plus de son importance éthique et moral, intervenir contre la discrimination limite les baisses de performances causées par un environnement de travail malveillant et stressant.

A l’inverse, un environnement de travail favorable à la diversité étouffe les discriminations et privilégie la tolérance. Ce faisant, il réduit ce stress, protège les personnes et libère le potentiel de la diversité pour la performance et l’innovation.

Références

  1. Williams, D. R., Lawrence, J. A., & Davis, B. A. (2019). Racism and health: evidence and needed research. Annual review of public health40, 105-125.
  2. Paradies, Y., Ben, J., Denson, N., Elias, A., Priest, N., Pieterse, A., … & Gee, G. (2015). Racism as a determinant of health: a systematic review and meta-analysis. PloS one10(9), e0138511.
  3. Lewis, T. T., Williams, D. R., Tamene, M., & Clark, C. R. (2014). Self-reported experiences of discrimination and cardiovascular disease. Current cardiovascular risk reports8(1), 365.
  4. Bernardo, C. D. O., Bastos, J. L., González‐Chica, D. A., Peres, M. A., & Paradies, Y. C. (2017). Interpersonal discrimination and markers of adiposity in longitudinal studies: A systematic review. Obesity reviews18(9), 1040-1049.
  5. Dolezsar, C. M., McGrath, J. J., Herzig, A. J., & Miller, S. B. (2014). Perceived racial discrimination and hypertension: a comprehensive systematic review. Health Psychology33(1), 20.
  6. Stock, M. L., Gibbons, F. X., Beekman, J. B., Williams, K. D., Richman, L. S., & Gerrard, M. (2018). Racial (vs. self) affirmation as a protective mechanism against the effects of racial exclusion on negative affect and substance use vulnerability among black young adults. Journal of behavioral medicine41(2), 195-207.
  7. Gilbert, P. A., & Zemore, S. E. (2016). Discrimination and drinking: A systematic review of the evidence. Social Science & Medicine161, 178-194.
  8. Slopen, N., Lewis, T. T., & Williams, D. R. (2016). Discrimination and sleep: a systematic review. Sleep medicine18, 88-95.
  9. Hudson, D. L., Puterman, E., Bibbins-Domingo, K., Matthews, K. A., & Adler, N. E. (2013). Race, life course socioeconomic position, racial discrimination, depressive symptoms and self-rated health. Social Science & Medicine97, 7-14.
  10. Lewis, T. T., Cogburn, C. D., & Williams, D. R. (2015). Self-reported experiences of discrimination and health: scientific advances, ongoing controversies, and emerging issues. Annual review of clinical psychology11, 407-440.
  11. Brosschot, J. F., Gerin, W., & Thayer, J. F. (2006). The perseverative cognition hypothesis: A review of worry, prolonged stress-related physiological activation, and health. Journal of psychosomatic research60(2), 113-124.
  12. Clark, R., Benkert, R. A., & Flack, J. M. (2006). Large arterial elasticity varies as a function of gender and racism-related vigilance in black youth. Journal of Adolescent Health39(4), 562-569.
  13. LaVeist, T. A., Thorpe Jr, R. J., Pierre, G., Mance, G. A., & Williams, D. R. (2014). The relationships among vigilant coping style, race, and depression. Journal of Social Issues70(2), 241-255.
  14. Hicken, M. T., Lee, H., Ailshire, J., Burgard, S. A., & Williams, D. R. (2013). “Every shut eye, ain’t sleep”: The role of racism-related vigilance in racial/ethnic disparities in sleep difficulty. Race and social problems5(2), 100-112.
  15. Hicken, M. T., Lee, H., Morenoff, J., House, J. S., & Williams, D. R. (2014). Racial/ethnic disparities in hypertension prevalence: reconsidering the role of chronic stress. American journal of public health104(1), 117-123.
  16. Sternthal, M. J., Slopen, N., & Williams, D. R. (2011). RACIAL DISPARITIES IN HEALTH: How Much Does Stress Really Matter? 1. Du Bois review: social science research on race8(1), 95.
  17. Umaña-Taylor, A. J., Tynes, B. M., Toomey, R. B., Williams, D. R., & Mitchell, K. J. (2015). Latino adolescents’ perceived discrimination in online and offline settings: An examination of cultural risk and protective factors. Developmental psychology51(1), 87.
  18. Heard-Garris, N. J., Cale, M., Camaj, L., Hamati, M. C., & Dominguez, T. P. (2018). Transmitting trauma: A systematic review of vicarious racism and child health. Social Science & Medicine199, 230-240.
  19. Bor, J., Venkataramani, A. S., Williams, D. R., & Tsai, A. C. (2018). Police killings and their spillover effects on the mental health of black Americans: a population-based, quasi-experimental study. The Lancet392(10144), 302-310.

Article initialement publié sur LaborAgora.com en août 2020.
Couverture : Life Matters

Discriminer sans s’en rendre compte

white and brown eggs

« Aujourd’hui, j’ai discriminé »

Cette phrase, nous pourrions tou·te·s la dire régulièrement. La discrimination n’est pas seulement l’affaire de quelques xénophobes, homophobes, etc. C’est notre affaire à tou·te·s, car nous discriminons quotidiennement, sans nous en rendre compte.

Aujourd’hui, je vous propose de prendre conscience de ce phénomène, grâce à deux études scientifiques. La première1 est une expérience en laboratoire, tandis que la deuxième2 fait directement écho à notre vie quotidienne.

Discriminer, est-ce normal ?

La première étude1 est un classique de la psychologie sociale. Elle utilise des groupes minimaux, c’est-à-dire des groupes créés de toutes pièces pour l’expérience, sur des critères arbitraires.

Déroulement

(1) Les participant.e.s de l’expérience donnent leur avis sur des tableaux de Paul Klee et de Vassily Kandinsky. Les participant.e.s sont ensuite répartis en deux groupes : ceux et celles qui préfèrent Klee, et ceux et celles qui préfèrent Kandinsky.

En réalité, la répartition est totalement aléatoire. Cette phase sert juste à justifier l’existence de groupes distincts.

(2) Ensuite, chaque participant.e doit répartir des récompenses à l’aide d’une matrice, comme celle présentée ci-dessous. En choisissant une valeur pour son groupe, chaque participant.e choisie automatiquement la valeur que gagnera l’autre groupe.

Exemple de matrice utilisée par les scientifiques dans le paradigme des groupes minimaux.

Résultats

Les participant·e·s cherchent à favoriser autant que possible leur propre groupe par rapport à l’autre groupe, même si cela suppose de ne pas avoir la récompense maximale pour soi.

Par exemple, nous tendons à préférer le choix A au choix B, sur l’image ci-dessus. Avec le choix A, la différence est maximale, à notre avantage (11 – 5 = 6). Pourtant, le choix B nous aurait octroyé une meilleure récompense brute (23).

Cette expérience montre que la discrimination n’a pas besoin de grand-chose pour apparaitre. Ici, les groupes sont totalement artificiels et aléatoires. Pourtant, le simple fait de voir une différence entre « nous » et « eux » suffit à faire émerger des comportements discriminatoires.

Cette expérience a été menée de nombreuses fois, dans des conditions variées3. La vidéo ci-dessous présente un exemple avec des enfants.

Discriminer tous les jours

La deuxième étude2 sort du cadre du laboratoire pour s’intéresser à l’écriture de lettres (cela fonctionne aussi avec des e-mails). La manière avec laquelle nous nous adressons à notre destinataire dépend de l’identité de ce dernier.

Déroulement

Il est demandé aux participant.e.s de rédiger une lettre à l’intention d’un destinataire. Le nom de ce dernier varie aléatoirement. Il est à consonance « française », « juive », « africaine » ou « portugaise ».

L’équipe de recherche a ensuite analysé le texte des lettres en profondeur, grâce à différents indicateurs langagiers.

Résultats

Des différences ont été remarquées dans la manière d’écrire la lettre. La façon avec laquelle les participant.e.s se sont adressés au destinataire « français » est plus positive qu’avec n’importe quel autre destinataire. Les participant.e.s discriminaient leur interlocuteur sans s’en rendre compte.

Les auteur.e.s vont plus loin en montrant que, même si les trois autres destinataires était discriminés, ils ne l’étaient pas tous de la même manière (le destinataire « juif » est rejeté, le destinataire « africain » est différencié, le destinataire « portugais » est rabaissé).

Ici, les participant.e.s sont des étudiant.e.s en sciences humaines, une population pas franchement réputée pour ses opinions antisémites, racistes ou xénophobes !

L’explication avancée par les chercheur.se.s est que nous avons développé des routines sociales. Celles-ci guident nos interactions avec les autres au quotidien. Mais, quand l’autre est différent de ceux et celles avec qui nous avons l’habitude d’interagir, ces routines perdent leur sens. Nous sommes alors contraint.e.s de réévaluer la situation pour lui donner une réponse spécifique. Nous agissons alors différemment et souvent de manière maladroite et discriminante.

Conclusion

Ces deux études montrent que la discrimination est ancrée en nous. Elle n’est pas la chasse gardée de personnes ouvertement racistes, sexistes, etc., et nous la développons dès notre plus jeune âge4. Nous avons tou·te·s tendance à agir de manière discriminante.

Ce constat peut paraitre bien pessimiste. Mais j’ai la conviction que prendre conscience du phénomène permet de mieux le contenir. Admettre que nous sommes limité.e.s et que nous pouvons discriminer malgré nos convictions est un premier pas pour mieux nous maîtriser et adopter des comportements davantage bienveillants et inclusifs.

Comprendre la discrimination c’est déjà lutter contre elle.

Références

  1. Tajfel, H., Billig, M. G., Bundy, R. P., & Flament, C. (1971). Social categorization and intergroup behaviour. European Journal of Social Psychology, 1 (2), 149–178. doi : 10.1002/ejsp.2420010202
  2. Castel, P., & Lacassagne, M. F. (1993). L’émergence du discours raciste: une rupture des routines. Revue internationale de Psychologie sociale, 6(1), 7-20.
  3. Hewstone, M., Rubin, M., & Willis, H. (2002). Intergroup bias. Annual review of psychology, 53(1), 575-604.
  4. Kelly, D. J., Quinn, P. C., Slater, A. M., Lee, K., Gibson, A., Smith, M., … & Pascalis, O. (2005). Three‐month‐olds, but not newborns, prefer own‐race faces. Developmental science, 8(6), F31-F36.

Article initialement publié sur LaborAgora.com en janvier 2020.
Image de couverture : Daniel Reche