Étude_ Facho-anxiété, la France devant l’extrême droite

12 juillet 2024, Benjamin Pastorelli

Beaucoup regardent avec angoisse la montée des extrêmes droites en Europe. Viktor Orbán en Hongrie, Matteo Salvini puis Giorgia Meloni en Italie, ainsi que les scores élevés du Rassemblement Nationale en France aux élections européennes et législatives de 2024 en sont des images parmi les plus éclatantes. Elles s’ajoutent à une libération massive de la parole raciste, anti-féministe, anti-LGBT+, etc.

Ce déplacement vers la droite des gouvernements et des sociétés génère une inquiétude importante, notamment chez les personnes qui pourraient être les premières à en faire les frais : celles issues de minorités. La dissolution de l’Assemblée Nationale, actée par Emmanuel Macron le 9 juin 2024, a contribué à renforcer ces préoccupations, en créant un climat de profonde incertitude quant à l’avenir du pays.

Devant cette situation, de nombreuses personnes montrent des symptômes physiques et psychiques proches de l’anxiété pathologique. Ce constat a fait émerger le concept de “facho-anxiété”, en miroir de celui d’éco-anxiété (la peur chronique d’un effondrement environnemental).

C’est quoi la facho-anxiété ?

Au moment où je rédige cet article, en juillet 2024, les réflexions sur la facho-anxiété sont balbutiantes. Les mentions de ce terme se limitent à quelques rares apparitions dans des articles de journaux ou de blog. A vrai dire, l’article que vous êtes en train de lire semble être la première tentative de formalisation de ce concept.

La facho-anxiété [1] est une détresse face à la montée de l’extrême droite et des conséquences qui lui sont associées. Elle peut se caractériser par une crainte pour soi-même, ses proches et/ou la société dans son ensemble.

On peut envisager qu’elle s’accompagne de symptômes physiques et psychiques. De manière similaire à l’éco-anxiété, il pourra s’agir d’un stress fréquent et important, d’anticipations négatives de l’avenir, de manifestations somatiques (troubles du sommeil, tensions musculaires, palpitations, etc.), de perturbations de l’humeur (irritabilité, tristesse, etc.) et des capacités cognitives (difficultés de concentration, etc.), ainsi que de perturbations sociales (isolement, etc.).

Néanmoins, je ne pense pas qu’il faille considérer la facho-anxiété comme une psychopathologie à proprement parler. Elle parait plutôt s’apparenter à un mal-être, en réaction à un contexte social difficile. Bien sûr, cela n’exclut pas qu’un niveau élevé puisse traduire ou engendrer des troubles plus sévères et nécessiter un accompagnement thérapeutique.

Une étude sur la facho-anxiété en France

Pour mettre ce concept en pratique, une enquête a été menée en France, durant la période des élections législatives anticipées de juin-juillet 2024. Voici la méthode employée et les principaux résultats (le rapport détaillé de l’étude sera publié prochainement).

Quelques informations sur la méthode.

Le questionnaire a été complété par 314 personnes entre le 2 et le 7 juillet 2024 compris. Il comportait une échelle psychométrique de la facho-anxiété [2]. Ensuite, venaient des questions sur les symptômes vécus avant et après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale (9 juin 2024). Cette liste de symptômes était inspirée de la section sur le trouble anxieux généralisé du DSM-5TR, un manuel de référence de la psychopathologie. Deux questions ouvertes demandaient les peurs liées à la montée de l’extrême droite et les stratégies pour leur faire face. Le questionnaire se terminait sur plusieurs questions sociodémographiques (genre, âge, etc.).

Qui subit de la facho-anxiété ?

Les personnes qui ont répondu à l’étude ont montré une facho-anxiété à 3.23 sur 6 en moyenne. Ce score a été significativement [3] plus élevé chez les femmes que chez les hommes (3.12 contre 2.56), chez les personnes non-binaires que chez les autres (3.61 contre 3.02) et chez les membres d’une minorité sociale que chez les autres (3.25 contre 2.81). Dans cette étude, l’âge, la classe socio-professionnelle, le milieu de vie (rural, citadin, etc.) et le niveau d’étude n’ont pas significativement influencé la facho-anxiété.

Ces résultats mettent en lumière que les personnes présentant les plus hauts niveaux de facho-anxiété sont aussi celles qui sont les plus susceptibles de subir la montée de l’extrême droite. Ces peurs paraissent faire écho à la forte augmentation des atteintes racistes, xénophobes et antireligieuses ces deux dernières années, notamment pendant la période électorale.

Quelles sont les conséquences de la facho-anxiété ?

L’analyse met en lumière que le niveau de facho-anxiété prédit significativement plusieurs symptômes : perturbations cognitives (difficultés à se concentrer ou à contrôler ses préoccupations), physiques (tension musculaire, trouble du sommeil), de l’humeur (irritabilité) et du comportement social (difficultés sociales ou professionnelles). Parmi les personnes présentant un niveau élevé de facho-anxiété (supérieur à 3 sur 6), 57% pourraient présenter une anxiété pathologique, contre 28% pour les autres.

Au-delà de la question de la facho-anxiété, l’apparition de ces symptômes a significativement augmentée après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale : +64% pour les difficultés à contrôler ses préoccupations, +56% pour le sentiment d’agitation et de tension, +35% pour les difficultés cognitives, +44% pour l’irritabilité, +18% pour les tensions musculaires, +27% pour les perturbations du sommeil et +54% pour les perturbations sociales.

Nombre de personnes mentionnant les symptômes, avant et après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale (9 juin 2024).

De quoi les gens on peur et comment font-ils face ?

Les personnes qui ont répondu aux questions ouvertes manifestent des peurs pour elles-mêmes, leurs proches (famille, ami·e·s, etc.) et la société plus globalement (démocratie, système social, etc.). Elles s’inquiètent notamment de l’augmentation des violences (39%), de l’atteinte à l’encontre de leurs droits (48%) et de leur liberté (22%), d’une décomplexion du racisme (45%) et d’une dérive vers le fascisme (10%). Plusieurs d’entre elles ont peur de mourir ou de voir leurs proches mourir (5%).

Pour y faire face, beaucoup s’engagent en militant (24%) ou en en parlant autour d’elles (19%). Elles essaient de garder espoir (11%), mais certaines envisagent de quitter la France (2%).

Des pincettes

Comme toute étude, celle-ci a des limites. C’est d’autant plus vrai qu’elle est pionnière sur cette thématique. Pour cette raison, il est par exemple difficile de dire si les niveaux de facho-anxiété observés ici sont élevés ou non, puisqu’il n’y a pas de point de comparaison disponible.

De plus, l’outil de mesure de la facho-anxiété n’a pas (encore) passé toutes les étapes de validation psychométrique. Mais les premières observations sont très encourageantes (voir note [2]). Rappelons aussi que les mesures sont essentiellement auto-rapportées. Cela incite à la précaution notamment pour les symptômes : ils ont été notés par les personnes elles-mêmes et non par un·e professionnel·le de santé.

Enfin, les personnes ayant répondu à l’étude sont surtout des femmes (73%), de gauche (96%), avec un niveau d’étude supérieur ou égal à bac+5 (44%), vivant en grande ville ou en métropole (59%). Ceci limite la généralisation des résultats à l’ensemble de la population. Néanmoins, cela ne remet aucunement en question les souffrances de ces personnes, ni le besoin d’y répondre.

Que retenir de tout ça ?

La recherche sur la facho-anxiété en est à ses tous débuts. Mais ce concept fournit un cadre de réflexion pour mettre en lumière et comprendre le mal-être que ressente de nombreuses personnes devant la montée de l’extrême droite. Ces dernières rapportent d’ailleurs des symptômes inquiétants, tant au niveau psychique (baisse de la concentration, irritabilité, etc.) que physique (troubles du sommeil, tensions musculaires, etc.).

Parmi les personnes les plus touchées, on trouve les membres de minorités sociales (dont les femmes), c’est-à-dire celles qui sont en première ligne devant les actions discriminantes que pourraient porter un gouvernement d’extrême droite. Leurs principales peurs concernent l’augmentation des violences et des agressions, ainsi que la diminution de leurs droits et de leurs libertés.

Conclusion

Cette étude a voulu remplir plusieurs objectifs : mettre en lumière les souffrances vécues par une partie de notre population face à la montée de l’extrême droite, apporter des premiers éléments de compréhension et proposer un outil de mesure. J’espère que des recherche ultérieures pourront compléter ces résultats, apporter des clés de compréhension et œuvrer à la conception de solutions efficaces.

Un rapport plus détaillé de l’étude est en cours de rédaction. Un lien sera déposé ici lorsqu’il sera prêt. Vous pouvez suivre “@science_active_” sur Instagram pour vous tenir au courant de l’avancement de ce projet.

Si vous désirez échanger ou collaborer sur cette thématique, vous pouvez me contacter.

Notes

[1] Le terme “facho-anxiété” fait référence au fascisme plutôt qu’à l’extrême droite. Bien sûr, fascisme et extrême droite sont des notions distinctes (quoique reliées). Néanmoins, c’est bien la peur de l’arrivée au pouvoir du fascisme, par l’intermédiaire de l’extrême droite, qui paraît être au centre de cette anxiété.

[2] La psychométrie est la science de la mesure des phénomènes mentaux. Ici, l’échelle de facho-anxiété a été créée à l’occasion de l’étude. Elle s’est comportée de façon plutôt satisfaisante pour une première version (α = .87 ; ω = .90 ; RMSEA = .083 ; RMSEA 90% CI = [.068;.098] ; CFI = .923; TLI = .901).

[3] En statistiques, des tests permettent d’évaluer si une différence est due au hasard ou non. Dans ce deuxième cas, on dit qu’elle est significative, car elle “a du sens” : elle “explique” quelque-chose.